L’affaire Lambert (partie 6)

Nous devons mettre à jour l’affaire Lambert puisque nous avons eu la surprise, ce printemps, d’avoir eu accès à d’autres précieuses informations.

Avant les fêtes, alors que cela faisait 2 ans que je m’affairais sur le cas Lambert, je sentais que nous étions dans une impasse. J’avais fait le tour pis pas un petit tour. Microfilms, essais de tous les mots-clés possibles dans les archives de journaux, demande au DPCP, requête à la CLCC, multiples relectures des témoignages au coroner.  Bref, j’ai eu l’idée d’envoyer une missive à la Ministre de la Justice elle-même, Sonia Lebel.  J’expliquais notre démarche et pourquoi c’était important pour Michel. Je nommais que le but était simplement de connaître les grandes lignes de ce qui s’était passé parce que c’est important pour la victime dans son processus de guérison. J’ai envoyé ça dans l’univers non sans me trouver un petit peu naïve dans ma démarche puisque c’est un cas quand même lointain et isolé.

Début avril, j’ai reçu une lettre du conseiller politique de Mme Sonia Lebel, soit M. Fournier. Une toute petite lettre mais qui indiquait CLAIREMENT et CONCRÈTEMENT à quels endroits se trouvaient d’autres informations relatives à ce dossier.  Je peux vous garantir que ce que M. Fournier nous a indiqué, jamais je n’aurais pu retracer ces dossiers. Nous n’avons jamais fini d’apprendre. Et nous l’aurions jamais su, c’est certain. Forcément, M. Fournier a fait des appels et a creusé un peu l’affaire pour dénicher quelques maillons manquants à cette histoire.  Nous avons donc fait les demandes aux organisations concernées.  C’est un très grand complément aux réponses reçues par la CLCC et la famille d’accueil. Michel ne s’y attendait pas non plus. De voir qu’il a pu accéder à ces informations qui le concerne directement pour mieux faire la paix avec tout cela, c’est très précieux. Et honnêtement, jamais nous aurions pensé avoir une telle aide et ce, dans toutes nos requêtes confondues.

Nous avons donc appris que les dossiers du Directeur de la Protection de la Jeunesse concernant Michel et son frère étaient encore aux archives.  Normalement, les dossiers sont détruits lorsque les sujets atteignent la majorité.  Mon hypothèse est que ceux-ci ont peut-être été épargnés étant donné que le D.P.J était à ses débuts (en plus des changements de gestion sur la Côte-Nord survenus à l’époque) et que les amorces devaient être conservées.

Ce que nous avons appris nous a fait comprendre qu’il faut un maximum de contexte et d’information avant de juger.  Sachant que les enfants ont été remis au père dès sa libération et que ceux-ci ont appris les circonstances du décès de Nora que des années plus tard, nous nous sommes demandés à plusieurs reprises en quoi le D.P.J avait bien pu oeuvrer correctement dans ce dossier-là.  Il s’avère que le travail qu’ils ont fait était admirable, et encore plus si on pense aux années de l’événement et des changements de gestion qu’a connu la région.

Non seulement les intervenants n’ont jamais voulu séparer les deux frères, ils ont tout mis en oeuvre pour qu’ils restent près l’un de l’autre.  Il aura fallu des déplacements de ces intervenants de Sept-Îles à la Beauce à plusieurs reprises pour s’assurer du bien-être des garçons.  Il est bien noté que malheureusement, ils ont rapatrié Michel à Sept-Îles parce que les grands-parents n’étaient pas aptes à s’occuper du petit.  La grand-mère était surportectrice et anxieuse alors qu’il est noté que le grand-père était violent.  Durant ce temps, le grand frère était lui aussi hébergé par un membre de la famille en Beauce.  Toutefois, il n’y avait aucune autre famille d’accueil disponible dans le même secteur car les services manquaient cruellement partout au Québec.  Voilà pourquoi Michel est revenu à Sept-Îles avec les travailleurs sociaux.

Une fois placé dans sa famille d’accueil, Michel a reçu de nombreuses visites du D.P.J et le tout est assez bien documenté.   Peu de temps après son arrivée, il est noté que le petit a demandé pour avoir de la bière.  Il avait à peine 3 ans.  Cette famille lui a procuré une thérapie par le jeu et les intervenants ont noté une belle et remarquable progression dans son comportement.

La raison pour laquelle la famille de Nora n’a pas eu son mot à dire est peut-être parce que Marcel exerçait encore son droit de décision en tant que père.  Et la raison pour laquelle il en était ainsi est… qu’il n’était pas emprisonné.  Tant et aussi longtemps qu’il était seulement présumé coupable, il pouvait décider.  Or, en obtenant une libération sous quelques petites conditions en payant un cautionnement de 2000$ le 3 mars 1977, il n’avait peut-être pas le droit de les garder avec lui, mais tout indique qu’il décidait de bien des choses.

laurin
Le Soleil, 18 février, BAnQ

Nous avons aussi appris qu’il restait un dossier au Palais de Justice de Sept-Îles.  J’étais étonnée puisque normalement, on me dit qu’après 30 ans, tout est transféré aux archives.  J’ai appelé là-bas pour qu’on me prépare ce à quoi j’avais droit et tout ce que j’ai pu comprendre, c’est que c’était un dossier «particulier» et que ce dernier était sur le point d’aller à BAnQ.  Nous sommes en 2020 et il y a 30 ans, nous étions en 1990.  Si on ajoute les deux ans environ de transfert et d’archivages, on tombe en 1988.  C’est l’année du décès de Marcel.  A t-il voulu demander un pardon 7 ans après sa libération et donc son dossier revenait sur le dessus de la pile, retardant ainsi son transfert?  Je ne m’y connais pas assez à ce sujet.  Entre temps j’ai vu que le premier avocat de Marcel dans l’affaire a été arrêté en 1987 et accusé en 1988 entre autres pour complot et fraude.  Ont-il été obligés de ressortir tous les dossiers de cet avocat afin de faire des vérifications?  La question se pose.

Donc ce dossier particulier allait nous apprendre que Marcel était libre du 3 mars 1977 jusqu’en décembre de la même année sous la condition de se rapporter les lundis à la Sûreté municipale de Sept-Îles, qu’il devait s’abstenir d’alcool et de médicaments sans ordonnance, qu’il ne devait pas fréquenter de bars et qu’il devait avoir une bonne conduite.

Pour ce qui est de son évaluation psychiatrique, on a eu une surprise à ce niveau-là aussi.  Dès le début de cette investigation, nous avons cru que Marcel voulait plaider la folie.  C’est plutôt l’inverse.  Il voulait plaider homicide involontaire coupable le plus rapidement possible et se sortir de cette situation avec un minimum de conséquence.  À l’institut Robert-Giffard à Québec, il a été évalué par un Docteur X.  Ce dernier a envoyé une copie de son rapport le 17 février 1977 à Me Laurin et l’original au procureur de la Couronne.  Ce même Docteur a reçu un subpoena le 1er mars 1977 à 13h30 pour une assignation à témoigner le 3 mars!  Et la destination de la missive est «Robert Giffard ou prison d’Orsainville».  Admettons que Docteur X travaillait aux deux établissements, il me semble qu’un subpoena déjà en retard aurait dû avoir un maximum de précision.  Et donc avant même que Docteur X se présente ou non le 3 mars, on se dépêchait déjà la veille, soit le 2 mars, d’obtenir une consultation pour Marcel avec un Docteur Y.  En cas sûrement que Docteur X ne puisse pas être là puisqu’il vient tout juste d’apprendre qu’il doit se présenter à Sept-Îles en moins de deux… Pour s’assurer du déroulement, l’avocat de la défence avait indiqué que Docteur Y avait un avion à prendre pour 16h00 et que donc, il ne fallait pas prendre de chance.  C’est donc le rapport de Docteur Y ayant discuté avec Marcel durant deux heures de temps qui a été retenu puisqu’il était présent pour témoigner à l’effet que le prévenu était apte à comparaître.

La défense allait s’appuyer sur une kyrielle de faits que nous ne pouvons lire que par petites bribes dans le prononcé de la sentence.  Il est écrit que Marcel était en charge d’une équipe de travail difficile à l’Iron Ore et que c’est, entre autres, dans ce contexte de stress que les événements sont survenus.  Il est aussi noté qu’une trop longue peine risquerait de le durcir et de l’éloigner de ses valeurs, lui qui est proche de ses fils (ayant perdu leur maman quand même).  Qu’après tout, il n’y avait eu aucune preuve de préméditation dans l’affaire.  L’alcool et la frustration sexuelle de monsieur étaient aussi à considérer.

sentence
Reine c. Marcel Lambert, 650-01-000122-77, Palais de Justice de Sept-Îles

Le juge Boisvert a donc donné la peine minimale prévue par la loi à ce moment-là, soit 3 ans d’emprisonnement.  Le comble de l’ironie est difficile à lire.  Il s’agit de cette question que se pose le juge.

sentence2

Michel, lui, ne l’ignore pas du tout.

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