L’affaire Lambert (partie 3)

Dans l’affaire Lambert, une aura de mystère persistante semble vouloir nous faire travailler fort.  Je pourrai au moins dire que j’ai appris.  Avec cette histoire, j’ai découvert une pelletée de nouvelles banques de données, des détours parfois avantageux et aussi des raccourcis profitables.  Voici donc nos derniers développements.

Pour ce qui est de nos demandes, nous essuyons encore les refus…  La SQ nous a informé que le dossier était depuis longtemps archivé.  Nous possédons donc déjà ce qui est public, c’est à dire l’enquête du coroner.  Nous devrons donc nous contenter de cette mince feuille.  L’hôpital de Sept-Îles nous a informé ne pas pouvoir divulguer le dossier de Nora.  Seule la raison du décès aurait pu nous être indiquée si nous ne l’avions pas sue.  La Protection de la Jeunesse nous a confirmé que les dossiers sont détruits lorsque les enfants atteignent la majorité.  Il nous reste le dossier carcéral et la possible demande de pardon avec le Centre Correctionnel Canada.  Il va sans dire que je fonde beaucoup d’espoir sur cette source d’information.  J’ai bien peur que sans celle-ci, il ne nous reste que des témoignages à obtenir pour tenter de retracer la vérité.

Dans l’éventualité où les embûches continuent de joncher notre quête, je dois décortiquer ce qu’il nous reste.  Pour trouver des témoins vivants et collaborants, il faut chercher.  J’ai donc séparé mon enquête en trois sous-enquêtes: la période de jeune adulte de Marcel lorsqu’il a été incarcéré à Bordeaux pour une histoire de faux chèques en 1963, la période du meurtre à Sept-Îles en 1977 et la période de sa libération jusqu’à son décès.

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Banque Royale du Canada, avenue Laurier, 1911, Musée McCord

Pour son incarcération, j’ai contacté la banque RBC au coin des rues Laurier et du Parc à Montréal où Marcel aurait déposé un faux chèque à l’automne 1962.  Cette institution est la même.  Je voulais du moins tenter de savoir sur quels noms (ou prête-noms) des fraudes avaient eu lieu à ce moment-là.  Le conseiller de la banque m’a rapidement et gentiment répondu que les données pour de telles dates étaient détruites mais que malgré cela, ils ont pris soin de faire plusieurs vérifications pour s’en assurer.  Dans l’affaire des faux-certificats, plusieurs indices me laissent croire que Marcel y était impliqué et aurait obtenu une clémence pour couvrir certains faits mais j’y travaille encore.  Avec la généalogie et la Gazette officielle sur BAnQ (qui me fait entre-temps découvrir un paquet de corruptions innommables), j’essaie de faire des liens et de consolider ma théorie.

J’essaie aussi de me familiariser avec l’historique familiale des Lambert.  Un soir, je suis allée discuter avec Michel et il avait étalé sur sa table de cuisine tout ce qu’il possédait dans ses souvenirs.  De son dernier dossier de la DPJ, en passant par des signets nécrologiques du début du 20e siècle jusqu’à des photos autographiées de pin-up, nous avons tout scruté.  La généalogie de Michel est faite des deux côtés.  On y découvre entre-temps des choses spéciales comme son grand-père paternel qui fut veuf à deux reprises, cette information étant cachée dans l’acte de son troisième mariage.  On a aussi découvert un possible enfant né hors-mariage.  Toutes ces trouvailles ne nous ont pas menées vers la réponse ultime mais en maîtrisant l’entourage et les faits, nous nous accordons plus de chances de déceler un détail plus important qu’en apparence.  L’avantage avec Michel, c’est qu’il est très vif et son bon jugement me permet d’échanger sans hésitation.

Pour ce qui est de la période du meurtre, j’ai fait une liste des témoins potentiels.  Certains étaient décédés, comme le gérant du bar.  J’ai toutefois réussi à retracer des gens.  D’abord la sœur de la gardienne des Lambert le soir du meurtre.  J’ai pu m’assurer de contacter la bonne personne grâce à la généalogie.  Elle a accepté de me parler.  Elle m’a confirmé que sa sœur n’avait jamais gardé à cet endroit avant le drame.  Bien évidemment, cet événement l’avait énormément troublée.  Assez pour avoir voulu partir très loin lorsqu’ils ont appris que Marcel allait obtenir sa libération.  Il a purgé une si petite sentence que la gardienne n’était même pas encore majeure.  Ce que je trouve important dans cette information, c’est qu’ils ont su que Marcel sortait de prison.  Cela m’indique donc, bien que subjectif, que cette libération n’était pas tellement un secret de polichinelle…

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Le Nouvelliste, 27 octobre 1982

Me voilà donc rendue au spectacle sadomasochiste.  Qui étaient donc Monsieur et Madame Sexe?  Il m’a fallu essayer plusieurs mots-clé sur les archives de journaux en ligne pour finalement tomber sur un article qui parle du quotidien de ce couple, les nommant aussi au passage.  Avec l’aide de mon ami Pascal Pilote, j’ai retracé Monsieur Sexe.  Je l’ai contacté via Messenger.  Très sympathique et collaborant, cet homme ayant eu une carrière peu singulière dans le spectacle hors-norme et dans les Records Guinness a accepté de m’expliquer ce qu’il a vécu ce soir-là.  Ayant fait la couverture du Allô-Police, il se rappelait vivement de cet événement.  Il m’a dit qu’il avait bel et bien fait un spectacle le soir du 24 janvier 1977.  C’est le lendemain que la police serait venue le chercher dans sa loge pour expliquer l’affaire du meurtre et l’alibi de Marcel comme quoi il avait été influencé par le show.  Le couple aurait donc été tenu de rester à Sept-Îles jusqu’à ce que les témoignages de l’enquête du coroner soient terminés.  Marcel Lambert ayant plaidé un acte de folie en raison d’un black-out et rejetant la faute sur le spectacle, ils ont dû présenter leur prestation devant le jury du coroner. Selon lui, le jury a déclaré que le spectacle n’était pas une preuve et ne pouvait pas être la cause du geste de Marcel.

J’ai aussi rejoint via courriel l’homme qui fut une des dernières familles d’accueil de Michel, un enseignant de la TÉLUQ et aussi famille d’accueil et adoptive pour la Protection de la Jeunesse. Cet homme a un parcours professionnel très impressionnant. Michel garde un bon souvenir de cet endroit. Cet enseignant a accepté d’échanger avec moi via courriel. Il ne savait pas du tout l’origine du parcours de Michel. Il en était étonné. Il se rappelle seulement ce moment émouvant où Michel a quitté de son gré pour voler de ses propres ailes, malgré lui. On apprend donc que cet homme pourtant très outillé pour aider cet adolescent n’avait pas eu l’heure juste sur le jeune qu’il hébergeait. Il m’a demandé de lui passer le bonjour et suite à mes compliments sur son parcours d’aidant naturel pour les jeunes, il m’a raconté brièvement ses multiples adoptions avec la Protection de la Jeunesse.

Michel a aussi rejoint sa tante, sœur de Nora, par téléphone.  Elle vit en Ontario.  L’enquête a soulevé des questionnements qu’il voulait discuter avec elle.  Qu’avait-elle vécu suite au meurtre?  Elle lui a dit que la famille a subi un total éloignement de Michel et Lucien.  Suite aux funérailles, elle n’a pas été capable de reprendre contact.  La famille aurait voulu s’occuper des enfants mais cela lui aurait été refusé.  Ensuite, la famille n’a pas eu de nouvelles et à cette époque, il était difficile de retracer des enfants qui se promenaient d’un foyer d’accueil à un autre.  Pourquoi ont-ils été confiés à la DPJ plutôt qu’à la famille maternelle?  On ne le sait pas.  Tout comme nous ignorons qui a pris la décision de remettre les enfants à Marcel dès sa sortie de détention.  S’il avait obtenu une clémence quelconque, peut-être que les services sociaux n’ont pas eu le choix de le remettre car légalement, il n’avait plus le statut qui lui avait valu une sentence.  Après tout, s’il plaidait la folie pour son meurtre, la dangerosité pour les enfants devait être sérieusement à considérer.  Et si ce n’est pas ce qui s’est passé, comment se fait-il que ceux qui devaient protéger nos enfants ont jugé que de les remettre à Marcel était la décision adéquate?

J’aimerais beaucoup retracer la toute première famille d’accueil de Michel à Sept-Îles

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Michel à Sept-Îles

son nom très commun me donne du fil à retordre.  En analysant une photo de Michel en bicyclette, j’ai pu découvrir avec Google Street view que cette famille résidait probablement dans un immeuble de la rue Corossol à Sept-Îles juste derrière la rue Marsolet, lieu de résidence de Marcel et Nora avant le drame.  Les registres fonciers antérieurs trouvés avec les numéros de lots m’ont permis d’apprendre qui en étaient les propriétaires et j’y travaille encore.

Je n’espère pas trouver la réponse: je vais la trouver.  Je n’obtiendrai satisfaction que lorsque je l’aurai.  On ne cherche pas un corps, ni un meurtrier.  On cherche une information de nature publique, soit la sentence et la libération d’un individu ayant commis un acte criminel.  Ce ne sera peut-être pas des papiers légaux.  Mais ce sera une réponse pour laquelle je saurai que ça fait du sens, qu’on est devant quelque chose de plausible et évident.

J’espère sincèrement vous revenir avec une réponse assez vite.

Merci de nous suivre dans cette difficile mais belle enquête.

Nora tombe

Lagarde, André, Le scandale des faux certificats, la clé du casier 5T7, Le Sieur, 1964

Généalogie: Michel Lambert et http://www.genealogiequebec.com

Allô Police, 5 février 1977, Microfilms, BAnQ

Registres fonciers: Registre Fonciers Québec

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